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Analyse urbaine

La firme UTT implique une nouvelle approche du développement urbain. Les architectes, avec d’autres experts, ont organisé une consultation publique afin de trouver des alternatives au plan émis par le gouvernement. L’analyse urbaine selon les principes de Bentley démontre les qualités à la fois spatiales et humaines désirées par la réalisation du projet de metrocable de Caracas. Toutefois, on remarque une différence entre la conception initiale proposée et le projet final une fois réalisé. L’absence de certains aspects vont même jusqu’à brimer la qualité globale du projet. Ces différences seront exposées et analysées de manière à faire une critique juste de la réalisation urbaine finale.

Les concepts émis par Bentley prônent la variété et la diversité comme fondement de l’urbanité. En ce sens, une variété d’activités, d’usages et de formes dans un environnement augmente l’éventail des choix offerts aux usagers. Le projet de Metrocable de Caracas offre des activités et des usages variés puisqu’il est accompagné de stations qui incluent des aménagements à caractère social comme des gymnases, des postes de police, des cliniques médicales, des théâtres, des centres communautaires et des magasins. Tous ces services se retrouvent sous un même toit ou dans l’une des cinq stations reliées par le système de gondoles.

Bentley entend par la lisibilité, la compréhension que les usagers ont de leur milieu et leur facilité à s’y orienter. Selon lui, elle se compose à deux niveaux, soit selon la forme physique et les «pattern» d’activités. À ce titre, le MetroCable agit vraiment comme un repère dans le paysage complexe des favélas. Par la hauteur que son implantation au-dessus des habitations informelles lui permet, il marque la forme physique urbaine. Les stations sont également bien visibles du quartier. Les activités, services sociaux et commerciaux qu’elles offrent forment, dans l’ensemble, un «pattern» d’activité clair et cohérent.

L'idée est que chaque station comporte un ou deux de ces services. Comme chaque station est reliée l’une à l'autre par l'intermédiaire du Metrocable, les habitants de ces quartiers peuvent désormais voyager rapidement et à moindre coût entre ces différents points de services. La force du système est qu’on ne considère plus le Metrocable comme une simple ligne de transport en commun, mais davantage comme un réseau de services sociaux accessibles.

 

Le projet correspond au principe des aimants : en canalisant les différentes activités et en attirant les usagers en ces pôles communautaires, on renforce les interactions et les opportunités de connexion pour tous les types d’usagers : des plus jeunes aux plus vieux. De plus, par une variété de formes et d’usages, les différentes stations offrent des vues et des ambiances différentes, permettant ainsi aux habitants de la communauté de s’approprier ces différents espaces et de les utiliser en réponse à leurs besoins.

La variété

La lisibilité

Le caractère approprié

Les architectes n’ont pas tout programmé de sorte que plusieurs espaces sont laissés libres à l’appropriation par la communauté. Cette concordance entre les usages et l’image forte du projet facilite la compréhension du quartier et donne désormais une expression urbaine et architecturale reconnaissable par les habitants de Caracas.

La lisibilité est également analysable selon les aspects étudiés par Kevin Lynch, soit les noeuds, les limites, les points de repère, les quartiers et les voies. Trois de ces éléments de composition urbaine sont présents dans l’ensemble du projet. La nouvelle ligne de MetroCable agit comme nouvelle voie principale du quartier. À l’image d’un village structuré par sa rue Principale, le câble vient marquer le tissu existant avec cette nouvelle «rue» dans les airs. Accompagnant cette voie, on remarque que les stations agissent comme des nœuds, par leur rôle de connexion des parcours de mobilité. Les noeuds de mobilité sont bien visibles notamment aux stations San Agustin et Parque Central, où le MetroCable croise la ligne du métro. Les autres stations, par leur forte concentration d’activités diversifiées, peuvent également être qualifiées de noeud et contribuent à renforcer l’identité du quartier. D’un autre côté, les gondoles surélevées, ponctuant désormais le paysage, permettent la création de points de repère et offrent ainsi une meilleure orientation dans les favelàs où les rues sont étroites et sinueuses. Finalement, la ligne de MetroCable, en forme de U, vient créer une nouvelle limite claire pour le quartier informel. Il devient ainsi facile pour les habitants de structurer le quartier qu’ils habitent.

Figure 17 : Zone d'intégration entre le metrocable et le métro existant

Pour répondre à l’intégration architecturale dans la ville informelle, il faut d’abord évaluer ce que Bentley appelle les «indices contextuels», c’est-à-dire, les indices associés à un endroit en particulier. Par exemple, pour les favelàs, ces indices seraient les rythmes verticaux et horizontaux désordonnées des milliers d’habitations qui forment une cohérence dans leur ensemble. La matérialité diversifiée des habitations, composées de briques, bois, mortier, terre, matériaux recyclés ou à portée de main, forme une réelle mosaïque de couleurs.

 

Épousant cette variété de couleurs et de matériaux, Urban Think-Tank propose des façades colorées, mariant verre coloré, acier ou tôle métallique. Ils ont même collaboré avec le designer graphique Reudi Baur pour créer une identité graphique à l’ensemble du projet, qui soit propre au quartier de San Agustin. Cette signature colorée comprenait le design de la signalétique, des stations ainsi que des bâtiments s’arrimant aux stations tels les gymnases verticaux.

 

Une autre façon d’analyser le projet d’Urban Think-Tank est par son caractère approprié. Bentley considère cet aspect comme étant la justesse visuelle permettant aux usagers d’identifier la nature d’un lieu. Dans un projet comme celui du MetroCable, cet aspect devient important, puisqu’il considère l’interprétation que les gens vont faire du ou des nouveaux bâtiments. Les stations ont une visibilité énorme par leur position et leur taille, leur design a donc besoin d’être bien réfléchi. En effet, leur apparence aura un impact considérable sur les réactions des gens voyant un nouveau bâtiment assez massif s’implanter dans leur quartier.

 

Les favelàs sont un milieu dense, aux petits bâtiments, où il devient ardu de venir y implanter un bâtiment massif et requérant beaucoup de support mécanique, telle une station de gondoles. Il est d’autant plus important d’analyser le caractère approprié de la station, puisque celui-ci peut même avoir un effet sur l’utilisation du système ou du bâtiment par les habitants du quartier.

Bien qu’au départ cette importance donnée aux détails des façades donnait au projet un caractère approprié intéressant, le projet réalisé n’a pas cette même justesse. En effet, les stations actuellement construites ont un aspect extérieur assez austère. L’apparence industrielle de leur façade, principalement composée de tôle métallique grise, n’aide pas à l’intégration de ces grandes stations dans le paysage des favelàs.

Figure 14 : Distribution des différents usages à travers le quartier

(Urban Think-Tank, 2010 )

(Urban Think-Tank, 2010 )

 Contraste entre l'existant et les stations

Figure 16 : Les septs “pavellonizacion” du Barrio San Agustin

Toutefois, l’implantation des stations multifonctionnelles n’a pas été totalement aboutie. Le rôle des stations actuelles n’est pas très bien défini à part l’accès qu’elles donnent aux gondoles. Le programme diversifié initialement planifié pour générer des interactions sociales, ne s’est pas encore concrétisé. Probablement qu’avec le temps et la venue des différentes fonctions à même les stations, les habitants vont commencer à s’approprier les espaces créés au sein de celles-ci.

 

En effet, il est clair que le système du Metrocable n’a, à ce jour, pas atteint son plein potentiel d’utilisation. Le projet était initialement prévu pour accueillir 15 000 utilisateurs, alors qu’aujourd’hui il ne dessert que 2 500 habitants par mois. Son réseau, en forme de boucle, a souvent été critiqué puisqu’il ne mène à aucune destination précise. Cette position reste cependant discutable, sachant qu’il se connecte, à ces deux terminaux, directement au réseau existant de métro. 

Figure 15 : Coupe de la sation La Ceiba

On remarque quand même que la majorité de ses utilisateurs sont des résidants du quartier, plus spécialement ceux qui demeurent à côté des stations. Ce phénomène s’explique dû à l'existence de différents secteurs dans le barrio de San Augustin. Les habitants appellent ces divisions la “pavellonizacion”, où ils possèdent tous une hiérarchie et un système d’appartenance propre à eux. Il devient alors dangereux pour un habitant de traverser une division qui n’est pas la sienne afin de se rendre à la station.

 

 

 

La participation du public dans la conception peut également faciliter leur compréhension spatiale de l’ensemble. Puisque les habitants ont, en partie, eux-mêmes choisi l’emplacement des différents services, il est alors plus facile pour eux de les localiser. 

Bien que certaines élévations soient plus travaillées et davantage intégrées que d’autres, dans l’ensemble, la station contraste grandement avec le milieu dans lequel elle s’inscrit et semble s’y déconnecter. Les clôtures et les impasses construites près des stations accentuent cette déconnexion. De plus, la perméabilité des stations est critiquée puisque ces dernières ressemblent davantage à des bunkers, complètement fermés et rigides au rez-de-chaussée. Il est dommage, sachant que la signature graphique avait été travaillée et réfléchie, qu’elle ait été abandonnée, probablement par faute d’argent. Heureusement, on la retrouve assez bien dans la composition des gymnases verticaux réalisés, notamment dans le projet de El Dorado, où l’implantation du bâtiment dans son contexte à été très bien réussi. Les façades de verres colorés apportent identité, vie et laissent entrevoir l’animation qui se passe à l’intérieur.

 Design de l'identité graphique planifiée

L’ajout de nouveaux bâtiments dans les quartiers a même lancé un mouvement de revitalisation chez les citoyens. En effet, on a remarqué une nouvelle effervescence chez les habitants et les acteurs impliqués dans la communauté. Il y a, entre autres, trois nouvelles organisations qui ont été créées pour contribuer eux aussi à la revitalisation du quartier. On retrouve parmi celles-ci la Mission Barrio Nuevo (nouveau quartier) qui s’occupe de la reconstruction des maisons désuètes. La mission Tricolor, a lancé, de son côté, la peinte de maisons en couleurs vives à l’image des favelàs de Rio de Janeiro au Brésil. Dans leur cas, les couleurs choisies sont à l’image de leur drapeau national, c’est-à-dire rouge, bleu et jaune. Finalement, la mission Bario Adentro se concentre davantage sur les enjeux de santé offrant une assistance médicale.

En effet, un point fort d’Urban Think-Tank, tel que mentionné précédemment, est son approche humaine axée sur la collaboration. Tout au long de la conception, la communauté a pris part à la détermination des intentions urbaines en demandant un projet qui serait axé sur le piéton, avec un développement d’usages mixtes et une augmentation des espaces publics, afin de créer des rues plus sécuritaires et d’augmenter les possibilités d’emplois. En ce sens, les stations sont adaptées aux besoins et aux goûts des habitants du quartier, ce qui en fait un projet plus appropriable.

Le caractère appropié du MetroCable comprend aussi son type d’implantation sur la topographie importante du site. L’hypothèse d’un système de transport surélevé a été choisie puisqu’elle permettait un impact minimal sur le tissu existant et sur l’environnement, en étant peu invasif et peu destructeur. De plus, les architectes ont eu le désir de recréer l’implantation et les rythmes verticaux des maisons des favélas tout en utilisant des matériaux plus modernes et distincts dans le paysage. Le résultat final, lorsqu’on pense aux piliers et aux cabines survolant le quartier est assez réussi.

 

Dans la logique où la station a été implantée dans la partie la plus haute du Barrio, les habitants de la partie basse ne traversent pas les différents secteurs les séparant de la station. Ils descendent alors vers le centre-ville à pied, comme ils le faisaient avant l’implantation du MetroCable. Les concepteurs de ce projet ont choisi cet emplacement, qu’ils ont cru juste, afin que les parcours piétons soient limités à la descente du Barrio, étant moins éprouvante que la montée. Dans cette optique, lorsque les habitants auraient à descendre au centre-ville, logiquement, ils n’auraient pas à monter la colline pour ensuite descendre dans la partie basse de la ville en MetroCable, mais ils le feraient à la marche. Pour retourner chez eux par contre, ils utiliseraient ce dernier pour revenir au point le plus haut, afin que la distance restante à marcher soit en descendant. En tenant compte de ces barrières sociales, on remarque alors, dans le cas de San Agustin, que les cinq stations ne desservent seulement qu’un total de quatre “pavellonizacion” sur sept. Marin, El Mamon et la Televisdora ont alors un accès plus restreignant à ce nouvel équipement.

 

 Le gymnase El Dorado

Exemple de Mission Tricolor à Caracas

Le projet du MetroCable de San Agustin a initialement été planifié comme nouveau réseau de mobilité accessible à tous créant des espaces publics colorés et vivants dans les favelàs. Le bilan actuel est tout autre. En effet, les habitants tardent à l’utiliser et à s’approprier les stations. Ce bilan négatif peut être expliqué par le manque réel d’aménagement d’espace collectif à l’entrée des stations qui rendrait leur accessibilité un peu moins austère au quartier. De plus, avec la diversité d’activités qui devraient suivre dans les prochaines années, le débit d’utilisation va augmenter. Les gymnases verticaux ont déjà faits leur preuve dans plusieurs quartiers de Caracas, alors il n’est pas impossible de croire que l’intérêt qu’ils produisent auprès des habitants va catalyser l’utilisation des stations dans le futur. Finalement, l’ensemble du projet ainsi que l’approche collaborative de Urban Think-Tank, sont un bon exemple d’inclusion sociale par le billet de la mobilité dans un contexte économique, social et politique difficile.

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